La tolérance peut-elle mettre en danger notre culture ?

Introduction p.17

Les occidentaux… ne veulent vivre que sous la catégorie de l’universel, parce qu’ils sont les héritiers de deux universalismes superposés, celui du christianisme et celui des Lumières. Ils répugnent à un principe qui leur serait cher seulement pour eux. Historiquement, ils ne combattent pour une émancipation que si elle doit à venir toucher la terre entière. Pourtant la nouvelle situation de mise en cause générale de la culture et de la domination occidentale transforme notre vision des choses… La perte de l’universalisme représente pour nous un tremblement de terre, qui bouleverse les couches profondes…

Nous finissons par avouer notre amour de la liberté de pensée ou notre volonté d’émancipation comme une préférence plus ou moins arbitraire, certes, mais qui au moins est la nôtre

Philippe Descola, par exemple, décrivant les différentes ontologies dans la culture mondiale, affirme simplement qu’il préfère sa propre culture, qui a inventé la science et et la démocratie, parce qu’elle est la sienne, tout en étant bien conscient qu’elle n’a rien d’universel. Nous sommes en train de nous accoutumer à la particularité, celle qui est le lot des autres peuples…

Conclusion p. 286

Le roi clandestin de Georges Simmel

dans la Grèce classique, le roi clandestin était l’Etre ; Dieu, Au Moyen-Age ; la nature à la Renaissance. L’évolution de l’histoire et de l’interrogation sur l’existence suscite le remplacement de ces formes. Selon la théorie du roi clandestin de Simmel, le moment moderne est celui où la société cesse de remplacer un roi clandestin par un autre ; où, pour la première fois elle abolit le roi clandestin, par volonté d’indétermination … parce que la situation de l’homme change et se transforme, le temps fait évoluer ces formes, même si elles tendent toujours à se figer et prétendent à l’éternité…

Simmel décrit le XXème siècle occidental comme le moment où l’esprit humain récuse l’idée même de ces formes. Ce que l’esprit moderne appelle la liberté, c’est la possibilité pour la vie de ne plus exprimer qu’elle-même, sans la médiation des formes culturelles – la décision de détruire les formes précédentes, comme toutes les époques ont toujours fait, mais cette fois sans en créer de nouvelles.

La volonté d’indétermination des formes p.289

Le courant postmoderne de l’indétermination …valorise les individus singuliers, et pour cela s’en prend aux formes communes. Dans les sociétés occidentales postmodernes, hantées par l’inclusion, il n’est plus possible de conférer une définition à un groupe : seul l’individu existe.

Le nominalisme ( NDR ce ne sont que des mots) généralisé a fait fuir les formes communes… L’individu refuse d’être représenté par des formes extérieures, toutes si insuffisantes.Il n’appartient plus à une communauté,une religion, un groupe social, car il est si riche que rien ne peut le désigner:il est lui-même, parfait dans sa singularité…. l’homme contemporain ne peut pas, comme tous ses ancêtres aux époques de rupture, changer les formes : il veut pour le première fois supprimer les formes. Ce n’est pas qu’il veuille changer de religion ou d’art : il veut supprimer l’art et le religion comme tels.

Le triomphe des vérités particulières– La généralisation de l’individualisme

Le processus d’individualisme provient d’une généralisation d l’individualisme à toute la population… Aujourd’hui une partie importante des citoyens de nos sociétés croit pouvoir « faire science et se croit justifiée de s’opposer aux affirmations de l’institution, qu’elle révoque en doute…

A l’effacement de la confiance en la science – vérité, universel – répond le retour des récits, de tout c qui s’approche du mythe. Car le mythe est ce qui convient à une époque individualiste : il est idiosyncrasique, et chacun peut avoir le sien – alors que la vérité est la même pour tous ou n’est aps. Par ailleurs, chacun peut inventer son récit, tandis que on trouve à l’extérieur de soi la vérité qu’on ne maîtrise pas. Chacun pet maîtriser son propre récit, il en est le maître…

Certainement l’informatique généralisée accroît la certitude de l’individu out-sachant… cette conviction de compétence presque illimité est évidemment une prétention, c’est-à-dire une imposture. Nous nous trouvons dans la situation du Phèdre de Platon : « ils se croiront compétents en une quantité de choses alors qu’ils sont, pour la plupart incompétents ; insupportable en outre dans leur commerce, parce que, au lieu d’être savants, c’est savants d’illusions qu’ils seront devenus. » Ainsi le moment présent ne parle pus d’une certitude ou d’une «évidence », mais toujours d’un narratif », c’est-à-dire : d’une histoire racontée par quelques ego.. p.164

Claude Lévi-Strauss est un anthropologue, ethnologue et philosophe français né à Bruxelles (Belgique) le 28 novembre 1908 et mort le 30 octobre 2009 à Paris (France).

Race et Histoire (1952), Claude Lévi-Strauss, éd. Folio, coll. « Essais », 1989  (ISBN 2-07-032413-3),

. [[L’humanité] ne se développe pas sous le régime d’une uniforme monotonie, mais à travers des modes extraordinairement diversifiés de sociétés et de civilisations ; cette diversité intellectuelle, esthétique, sociologique, n’est unie par aucune relation de cause à effet à celle qui existe, sur le plan biologique, entre certains aspects observables des groupements humains ; elle lui est seulement parallèle sur un autre terrain. p.11…

. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. p.22 …

. La tolérance n’est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est. C’est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. p.85 …

. La diversité des cultures est derrière nous, autour de nous et devant nous. La seule exigence que nous puissions faire valoir à son endroit (créatrice pour chaque individu des devoirs correspondants) est qu’elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres. p.85 …

Tristes Tropiques, Claude Lévi-Strauss, éd. Pocket, 2001  (ISBN 2-266-11982-6), p. 495 (voir la fiche de référence de l’œuvre)

. Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes, que j’aurai passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d’une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut-être de permettre à l’humanité d’y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place indépendante et que l’effort de l’homme – même condamné – soit de s’opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine, peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d’un ordre originel et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive…